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metatitle: "L’état N1: clé secrète de la créativité" metadescription: Découvrez comment les états entre veille et sommeil boostent la créativité. De Paul McCartney à Dali, cultivez vos moments de génie.

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L’état N1 : la clé secrète de la créativité

Dans la nuit du 25 au 26 juin 2024, alors que je dors à Toulouse dans la chambre voisine de Tim qui vient passer ses concours postprépa, je me réveille dans un état d’excitation extrême. Des phrases se bousculent.

Note originale : « Les romans commencent par des phrases saisissantes qui bientôt développent des récits extraordinaires, et la simple possibilité que ces phrases et ces récits puissent surgir est en soi un miracle, une aventure en elle-même extraordinaire. Il y a un romanesque avant le romanesque. Il y a un romanesque de la création. »

Je suis resté deux heures à esquisser ce qui allait devenir Rush, une tentative d’écrire un texte que les IA ne pourraient jamais écrire. L’idée a été soudaine, sans que rien ne la préfigure. Depuis des semaines, j’étais stérile et inquiet, Isa commençait sa chimio, et une porte s’est ouverte sur un monde dont je ne soupçonnais pas l’existence, comme s’il avait toujours existé hors de moi-même.

Rush, une tentative d’écrire un texte que les IA ne pourraient jamais écrire

Yesterday

Janvier 1964, Paul McCartney, 22 ans, habite au 57 Wimpole Street à Londres, dans la maison familiale de Jane Asher sa petite amie. La mère de Jane est professeure de musique à la Guildhall School of Music and Drama. La maison est remplie d’instruments. Dans sa chambre mansardée, Paul fait installer un piano droit près de son lit. Un matin, il se réveille avec en tête une mélodie complète, d’une clarté et d’une perfection déconcertantes. Il se dit : « Tiens, je ne connais pas cette mélodie – ou peut-être que si ? » Il se lève et se met au piano pour la jouer. Elle lui semble si familière et si bien construite qu’il pense l’avoir entendue quelque part et mémorisée malgré lui, peut-être durant son enfance — son père connaissait beaucoup de morceaux de jazz.

Pendant plusieurs semaines, Paul se transforme en détective. Il joue la mélodie à tous ceux qu’il croise dans l’industrie musicale : « Tu connais ça ? C’est un joli petit air, mais ce n’est pas possible que je l’aie écrit, parce que j’en ai rêvé. » Mais le joli petit air ne dit rien à personne. Paul finit par admettre qu’il est de lui. Il l’appelle : Scrambled eggs (Œufs brouillés). Les premières paroles : « Scrambled eggs, oh my baby how I love your legs… » (Œufs brouillés, oh mon bébé comme j’aime tes jambes…).

Les paroles définitives arrivent en mai 1965 lors d’un voyage au Portugal au cours d’un long trajet en voiture sous le soleil. Le mot « Yesterday » s’accorde parfaitement avec la mélodie. L’enregistrement se déroule du 14 au 17 juin 1965 aux studios d’Abbey Road. Le producteur George Martin suggère à Paul de jouer à la guitare acoustique accompagné d’un quatuor à cordes. Yesterday est depuis devenue l’une des chansons les plus reprises de tous les temps, avec plus de 2 200 versions enregistrées.

L’enregistrement se déroule du 14 au 17 juin 1965 aux studios d’Abbey Road.

L’état N1

J’ai découvert cette anecdote dans un article de ScienceAlert au sujet des états hypnagogiques et hypnopompiques, quand la conscience hésite entre veille et sommeil ou inversement, état où Paul se trouvait quand il a composé Yesterday et où je me trouvais quand j’ai eu l’idée qu’écrire un roman était un roman en soi. J’adore ces moments, je les cultive. Lovecraft a dit je crois : « Tout ce que j’ai écrit je l’ai rêvé. »

un article de ScienceAlert au sujet des états hypnagogiques et hypnopompiques

Dans l’état hypnopompique, une phase de transition brève et fragile entre le sommeil et le réveil, nous sommes partiellement conscients, mais suffisamment détendus pour que des pensées logiques et structurées se mêlent à des images oniriques et des souvenirs, produisant des associations d’idées. J’ai la sensation d’être capable de me maintenir dans cet état durant de longues minutes, peut-être une heure. Au fil des années, j’ai appris à ne pas oublier ce qui s’y joue pour m’en servir le lendemain. Mais parfois les phrases sont si vives que je transcris aussitôt, tout en sachant que je ne me rendormirai pas.

Une étude publiée en 2021 a révélé que quand nous sommes capables de vivre des moments hypnopompiques (appelés N1) nous avons trois fois plus de chances de résoudre des énigmes mathématiques. D’après les chercheurs, l’état N1 serait le cocktail idéal pour stimuler la créativité et faire surgir des idées inattendues.

Une étude

Tout en poursuivant mes lectures, je découvre qu’en 1881 le psychologue britannique Frederic Myers a supposé que des idées surprenantes pouvaient surgir d’un état subliminal. Il a parlé d’un « uprush ». L’apparition de ce mot a été pour moi suffisamment extraordinaire pour que j’écrive l’article que vous lisez.

Comme je le raconte dans Rush, j’ai initialement parlé de surgissement et de jaillissement pour d’écrire ce qui m’est arrivé à Toulouse. Isa a remarqué que ces mots étaient trop longs pour illustrer un phénomène soudain. Elle a fini par me proposer « rush », bien sûr en ignorant tout de l’uprush de Myers. J’adore ce genre de convergence. Je les devine à l’œuvre au cœur du processus créatif : des routes neuronales distinctes semblent converger.

Ce matin, je me lève pour aller aux toilettes, encore à demi conscient. J’allume mon téléphone, tombe sur l’article de Science Alert et la nécessité d’écrire s’impose avant mon réveil complet. Cet article est né dans un état N1.

J’ai toujours aimé traîner au lit, prolonger les réveils, dans le seul but de vire des moments intenses. Je déteste les réveils, leur sonnerie vécue comme une castration de ma créativité. Mes insomnies me sont finalement précieuses. Elles m’offrent au milieu de la nuit des états de demi-conscience où les rushs se produisent.

Je découvre avec tristesse que 20 % de la population n’expérimente pas ces états. Je suppose que nous risquons de les négliger après l’enfance si nous les cultivons pas. Les techniques de relaxation permettent de les provoquer. Picasso disait : « Je ne cherche pas, je trouve. » Chercher reste une distraction. La détente prélude à la créativité. Une détente singulière, avec un piano, un carnet, un ordi près du lit ou de la chaise longue où nous rêvassons. J’ai un canapé près de mon bureau, comme Hemingway.

Je me sens plus créatif en été, car j’y ai davantage d’occasions de m’allonger n’importe où durant les grosses chaleurs et de rêver sans culpabiliser. J’apprécie de plus en plus d’écrire au lit. Quand je bloque, je ferme l’ordi, m’enroule sous moi-même et tente de regagner un état de conscience trouble où mon cerveau travaille malgré moi.

Je ne suis pas assez masochiste pour me faire réveiller au moment de m’endormir. Je préfère l’état hypnopompique à l’hypnagogique que provoquaient, par exemple, Salvador Dali et Thomas Edison. Ils s’endormaient en tenant un objet métallique lourd qui leur échappait quand ils perdaient conscience. Sa chute les réveillait. Suffit que ma liseuse me glisse des mains pour que sa lueur me réveille. C’est une nuisance plus qu’une incitation à la créativité. Le sommeil m’est bien trop précieux pour lui nuire. Mais à chacun sa technique.

J’aime cette idée d’une créativité par inadvertance, à l’exact opposé de nos IA actuelles, puisqu’elles répondent à nos injonctions. Pourtant, les IA, aussi mécaniques soient-elles, produisent parfois des retours qui rencontrent nos rêves et réveillent en nous des associations neuves. Elles ne sont pas créatives mais peuvent nous rendre plus créatifs, comme une boule de métal qui s’échapperait de nos mains quand nous nous endormons. Créer est si extraordinaire que je fais tout pour vivre cette expérience — depuis trois ans, l’IA est mon LSD.